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L’utilisation de l’hypnose dans un cas de douleur chronique. Gilles M. Ouimet. Article publié en 2019 dans le bulletin Hypnose Québec de la Société québécoise d’hypnose, volume 16, numéro 2, pages 3-5.

 

 

Je pris l’appel de détresse en fin d’après-midi. Au bout du fil, l’homme m’expliquait qu’il n’arrivait plus à respirer. Des spasmes musculaires au niveau du thorax créaient des sensations de suffocation aux vingt minutes. Sa poitrine était terriblement oppressée. L’homme savait qu’il s’agissait d’attaques de panique. Il réclamait mon aide afin de l’aider à composer avec l’anxiété. Je le reçus en cabinet dans les heures qui suivirent. C’est avec son autorisation qu’il m’est permis d’écrire cet article.

 

Ce patient est marié et a deux enfants. Il est spécialiste en sécurité informatique et enseigne à l’université. Il est d’un niveau intellectuel largement supérieur à la moyenne. Il y a vingt mois, il dut subir une chirurgie qui se voulait une réponse à une myalgie devenue permanente. L’hypothèse d’une source multifactorielle était avancée.

 

Au terme d’une série d’examens cherchant, pendant une période de cinq années, à trouver les causes de la douleur, un neurochirurgien prenait la décision d’effectuer le curetage de la plus importante des hernies lombaires identifiées. Au moment de la chirurgie, les dangers de paralysie étaient imminents. Lors de l’opération, comme il fut constaté que l’hernie du disque intervertébral avait adhéré au nerf sciatique, il fallut la disséquer, ce qui eut pour conséquence d’endommager la gaine du nerf.

 

Des complications post-opératoires s’ensuivirent, entraînant des douleurs insupportables au point que le patient dut rester étendu de vingt à vingt-deux heures sur vingt-quatre. Des interventions en physiothérapie durant seize semaine aggravèrent les choses plutôt que de les améliorer. Pour couronner le tout, il eut été souhaitable de réopérer trois mois après la première intervention chirurgicale, mais c’est en raison de délais administratifs hospitaliers que le patient dut attendre vingt mois. Dans les mois qui précédèrent le premier entretien, une nouvelle combinaison de médicaments avait néanmoins permis d’allonger quelque peu la fenêtre temporelle de la station debout. La locomotion redevenait possible, sur de petits intervalles.

 

Lors du premier entretien, il paraissait évident que le patient était doté d’une très grande capacité de résilience. Il demeurait actif au sein de sa famille. Il était cependant, sans jeux de mots, à bout de souffle. D’autres l’auraient été bien avant. On ne pouvait parler ici de psychotraumatisme au sens de la définition stricte (événement trop intense, trop subit, inassimilable psychiquement, associé au danger de perdre la vie). Les symptômes n’y étaient pas. Il fallait donc parler d’épreuve, mais d’une épreuve humainement limite. Il y a dans la vie des situations, des fardeaux, des conditions, des stress qu’on pourrait supporter pendant quelques jours ou quelques semaines, mais pas pendant des mois. Surtout pas pendant vingt mois. Tout en sachant qu’aucune solution n’est en vue. La panique est alors une réaction de survie. Un cri d’alarme. Que j’avais bien entendu.

 

Il me parut opportun de travailler à partir du concept de dissociation inhérent à un protocole mis au point par des psychiatres militaires de l’Hôpital d’Instruction des Armées Desgenettes de Lyon (Cheveau, 2014). La méthode repose sur l’idée du sujet qui s’observe regarder se dérouler les événements de sa vie sur un écran. Il y a double dissociation. Selon Cheveau (2014), l’évaluation de la présence d’un traumatisme psychique et des symptômes qui en découlent est essentielle et le diagnostic de traumatisme psychique doit être bien établi pour mettre à profit un tel protocole de désensibilisation. Le présent cas était différent. Sauf les récentes et soudaines attaques de panique, aucun symptôme psychoclinique n’était observable. Il s’agissait davantage de fatigue et d’épuisement, sans que ne soient présents des signes de découragement ou d’humeur dépressive outre l’anxiété qui venait de surgir subitement avec intensité.

 

Ce qui a guidé mes inductions est l’idée d’une souffrance provoquée par l’irritation et la compression de nerfs et le besoin d’être dégagé de cette irritation et de cette compression. Dix-huit séances, dont seize avec transes hypnotiques, ont pris place, la deuxième le lendemain de la première, les troisième, quatrième et cinquième trois jours après la précédente, la sixième à cinq jours d’intervalle et les suivantes à une semaine de distance. Les quinzième et seizième séances sans hypnose ont favorisé un échange thérapeutique. Les dix-septième et dix-huitième séances avec hypnose ont pris place la veille d’une deuxième chirurgie qui s’annonçait délicate afin d’y préparer le patient. Contre toute attente, elle fut un succès, le neurochirurgien procédant à une fusion de deux vertèbres afin d’épargner définitivement le nerf sciatique de toute pression (voir la photo).

 

Les entretiens ont duré une moyenne de 90 à 120 minutes. À l’intérieur de ceux-ci, les périodes de transes ont elles-mêmes varié entre 45 et 60 minutes. Outre les quinzième et seizième pendant lesquels il n’y pas eu d’hypnose, ces entretiens se composèrent tous d’un échange, préalable à la transe, portant sur la condition de vie (état physique et psychologique), la vie familiale, les événements liés au travail (duquel le patient est absent, mais dont il entendait parler par les collègues – dans le cas de ce patient, le travail est une source intense de stimulation). Ces échanges me permettaient d’apprécier l’état émotionnel dans lequel se trouvait le patient au moment de la rencontre, ses préoccupations, ses intérêts, ses irritants, ses espoirs, etc., afin de m’en servir lors des inductions.

 

Au premier entretien, après une évaluation rapide de la situation, il était manifeste que ce patient se trouvait en grande souffrance et en état d’urgence. Il fallait agir et vite. La seule autre option envisageable pour lui était de se présenter immédiatement aux urgences d’un hôpital.  Je lui expliquai que, s’il acceptait d’y participer, nous pouvions tenter un essai hypnotique afin de diminuer l’angoisse. Ce qu’il accepta. J’ai intuitivement procédé tout de suite aux inductions usuelles de détente et de relaxation sans faire de test préalable. Ce qui porta fruit car mes directives, simples et assurées, ont tout de suite entraîné l’effet désiré. Je tenais ainsi compte de la confiance que m’avait d’emblée accordé ce patient, ayant choisi de communiquer d’abord avec moi plutôt que d’aller tout de suite aux urgences.

 

Les deux premières transes ont appliqué rigoureusement le protocole militaire : le sujet qui s’observe lui-même regarder l’écran sur lequel se déroulent les événements de sa vie depuis la chirurgie. Dans la deuxième transe et dans les suivantes, l’utilisation du protocole a été précédée par une préparation à la relaxation qui fut de plus en plus brève. J’ai aussi tout au long de chaque transe insisté sur le très grand bien-être et l’immense plaisir que procurait cette expérience inusitée.

 

Au deuxième entretien, le lendemain du premier, le patient m’informa qu’il avait été sur le point de reprendre des comprimés d’un tranquillisant qui lui avaient été prescrits la veille, mais qu’il s’était abstenu. Il était arrivé à maîtriser par lui-même les poussées d’attaques de panique. À la troisième rencontre, trois jours plus tard, les symptômes de spasmes et de suffocation étaient en train de s’éclipser. À la quatrième rencontre, trois jours plus tard, ils étaient disparus. Ils ne sont pas revenus depuis.

 

Tenant compte du fait que, pour le patient, les deux conséquences les plus pénibles de sa condition physique étaient la douleur et l’impossibilité de se mouvoir sur de longues périodes en participant entre autres à des tâches domestiques et des exercices physiques, dont la marche, j’ai insisté de plus en plus sur la dissociation verbalisée en termes de détachement de soi et, de façon inhérente, de la douleur éprouvée (se regarder être tout en éprouvant du bien-être et du plaisir à cet exercice). Le protocole militaire se termine avec la sortie du sujet de la salle. Dans le présent cas, j’ai graduellement ajouté à ce protocole une suite dans laquelle le patient, quand il sortait de salle, se sentait très léger, souple et flexible et se baladait à ses endroits favoris, en particulier un parc situé à proximité d’un plan d’eau, avec sa femme, ses enfants et son chien, un Airedale enjoué et affectueux.

 

De la cinquième à la quatorzième rencontre, les inductions utilisées dans les transes ont toutes favorisé la sensation de très grande légèreté et de très grande mobilité pendant que le patient se promenait à pied, dans les airs ou sous l’eau. Il a ainsi fait tout le trajet du chemin de Compostel, traversé des contrées, des forêts, des prairies, des pays. Dans les airs, il a fait le tour du monde en prenant plaisir à survoler région après région, de l’Artique à l’Antartique, de l’Amérique à l’Europe et à l’Asie. Nous avons visité des îles ensoleillées, des montagnes ennuagées, des vallées profondes. Nous nous sommes trouvés sur des sommets enneigés, cramponnés à des icebergs, allongés sur des plages des Caraïbes, à parcourir le Nunavut, les Prairies canadiennes, à glisser sur les glaciers des Rocheuses, et ainsi de suite. Sous l’eau, nous avons exploré les milieux sous-marins dotés d’une riche faune et flore aquatiques, en particulier des poissons multiformes et multicolores et de magnifiques coraux aux couleurs vives et saisissantes observables grâce à la pureté et, conséquemment, la clarté de l’eau. Nous avons construit un tunnel qui partait de la piscine du jardin du patient et qui le conduisait à tous les océans. Les inductions se formulaient comme un récit qui se déroule en temps réel, comme si je décrivais ce que je vois à l’écran lors d’une émission de Thalassa, du National Geographic ou de l’explorateur Cousteau. Je dois dire ici que nous avons ainsi, ce patient et moi, voyagé beaucoup et pris beaucoup de plaisir à naviguer au gré de mon imaginaire cependant guidé par deux nécessités concrètes : a) aider le patient à se dissocier de la douleur, b) installer et maintenir chez lui une sensation d’apesanteur dans laquelle le nerf provoquant la douleur n’est ni irrité ni comprimé. Sans complètement éliminer la douleur, ces transes contribuèrent entretenir, chez le patient, un état de détente propice à les rendre plus endurables.

 

Comme mentionné précédemment, les quinzième et seizième entretiens ont été consacrés à un échange thérapeutique visant à aider le patient à modifier ses habitudes à être excessif dans ses comportements. Il s’agit d’un homme très intelligent et puissant au sens d’une force interne, pour qui la saisie d’informations, la compréhension, la communication et les décisions s’effectuent très rapidement. D’où la vitesse et l’intensité des comportements. Il fut ainsi nécessaire de l’aider à comprendre et à accepter qu’il ne pouvait plus et qu’il ne devait plus, de ce moment à sa rémission complète, se concevoir avec les capacités qu’il possédait jadis. À cet égard, je lui ai demandé d’écrire le texte suivant que je lui ai spontanément dicté au quinzième entretien : Je dois développer une représentation de moi-même qui comporte des limitations fonctionnelles. Nous sommes tous des êtres limités. Ces limites sont plus ou moins étendues selon les personnes. Nous devons apprendre à composer avec une autonomie résiduelle de manière à profiter de la vie et à répondre aux besoins des personnes qu'on aime (textuellement). Afin d’intégrer le concept et la sensation de microgravité, je lui ai demandé de m’apporter une plume à la séance suivante.

 

Je lui ai également proposé de dresser une liste des limites de mouvements dont il devait tenir compte : penchements, torsions, levée d’objets, etc. Ceci afin d’intégrer cette notion de limite – l’obstacle étant d’avoir une image handicapée de soi, de devoir faire appel aux autres personnes pour saisir et transporter les objets les plus simples, d’attendre et d’être dépendant de ces autres personnes, de subir leur irritation ou leur incompréhension, surtout dans le cas de ce patient pour qui rien n’était impossible (d’où son grand talent dans son travail).

 

Au seizième entretien, je reçus en cadeau un sac complet de jolies plumes de faisan. Elles sont petites et extrêmement légères. Cette légèreté faisait écho à l’humour et à la créativité qui prenait place dans nos échanges, malgré la souffrance persistante du patient. Cet entretien fut toutefois, avec le précédent, chargé d’émotion car il s’agissait de faire des deuils, certains temporaires, d’autres permanents, auxquels le patient n’avait pas procédé depuis la détérioration de son état de santé.

 

Il établit toutefois une nuance importante à considérer pour nous, praticiens de l’hypnose. Il était d’accord pour apprendre à identifier ses limites locomotrices, mais il refusait de se définir comme étant en soi limité : « Je ne veux pas me faire identifier par mes limites, expliquait-il. Je veux qu’on me dise ce que je peux faire, pas ce que je ne peux pas faire. » Cette demi-teinte est importante quant à la représentation de soi potentialisée plutôt qu’handicapée. Je lui dis que j’en prenais bonne note, me disant à moi-même qu’il faut tellement apprendre à bien écouter le patient. À entendre, à écouter et à comprendre tout ce qu’il dit, et en particulier ce genre de déclaration spontanée qui aurait pu m’échapper car elle représentait une distinction importante quant à mon induction consciente à travers mon texte dicté.

 

En conclusion, le protocole militaire utilisé, même s’il est exclusivement destiné à la guérison de traumatismes psychiques, peut aussi permettre une bienfaisante dissociation dans le cas d’épreuves de la vie qui ne sont pas des psychotraumatismes au sens propre. Outre ce protocole, le traitement dans le présent cas s’est appuyé sur une visualisation abondante accompagnée d’inductions d’absence de gravité, d’agilité et de bien-être. Mais le soutien à ce patient eut été incomplet si les transes n’avaient pas été précédées d’échanges me permettant de saisir son état émotionnel et intellectuel et si le travail psychique sur les limites et le deuil avaient été omis.

 

(1) Cheveau, C. (2014). Guérir d’un traumatisme psychique par hypnose. Paris : Josette Lyon.

 

 

Autres articles sur l’hypnose :

 

Ouimet, G.M. (2016). Une histoire de suggestion : le Paris-Dakar. Hypnose Québec, 13 (2), 5-6.

 

Ouimet, G.M. (2017). La fonction du groupe dans la transe hypnotique. Hypnose Québec, 14 (1), 2-5.

 

Ouimet, G.M. (2017). L’imaginaire du clinicien et sa capacité hypnotique. Hypnose Québec, 14 (2), 3-5.

 

Ouimet, G.M. (2018). Écritures et réécritures de soi : de l’état modifié de conscience au réaménagement de l’inconscient. Transes, 1 (3), 100-107.

 

Ouimet, G.M. (2020). L’attitude hypnotique. Hypnose Québec, 17 (1), 3-5.

 

Ouimet, G.M. (2020). L’hypnose, c’est avant tout la relation. Hypnose Québec, 17 (2), 2-5.

 

Ouimet, G.M. (2022). L’hypnose ou l’expérience de la guérison. Hypnose Québec, 19 (1), 6-8.

 

Ouimet, G.M. (en préparation : 2023). L’hypnose ou l’expérience de la beauté. Hypnose Québec, 20 (1).

 

 

Atelier sur l’hypnose :

 

Ouimet, G.M., Douesnard, A. (2018). L’induction au service de la réparation et de la reconstruction psychique : convergences entre psychanalyse et hypnose. Atelier présenté au XXIe Congrès mondial d’hypnose médicale et clinique, Montréal.

 

 

 

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